Faillite du Crédit Suisse : Causes et conséquences
Crédit Suisse n’est plus.
Banque systémique, dans la tourmente depuis 2014 suite à de nombreux scandales financiers, Crédit Suisse n’aura donc pas survécu à la crise de confiance venant des Etats-Unis (Silicon Valley Bank notamment) et a été reprise ce matin même par UBS (leader mondial de la gestion de fortune).
Devant cette angoisse d’une faillite du système bancaire mondial, beaucoup de choses sont dites, les discours apocalyptiques ou jubilatoires fleurissent sur les réseaux comme dans les journaux. Mais qu’en est-il réellement ?
Dans ce mail, je marcherai sur une ligne de crète entre réalisme et absence de concession. Le but n’étant pas de vous rassurer de manière malhonnête mais de vous apporter un éclairage sur la situation actuelle.
Par ailleurs, j’attire votre attention sur une réalité : Une faillite bancaire générale n’est souhaitable pour personne. Cela est vrai pour vous et moi comme pour les Etats, entreprises, Banques centrales et grandes fortunes de ce monde.
quelques définitions utiles pour la suite :
Banque systémique : Banque dont la taille, la valorisation ou le montant des actifs sous gestion sont si élevés et variés que sa faillite peut faire vaciller le système bancaire tout entier.
Par exemple : JPMorgan (USA) / BNP Paribas (FR) / Deutsche Bank (DE) / Crédit Suisse (CHF)
Bank Run ou panique bancaire : mouvement de retrait massif des dépôts bancaires.
Too Big to Fail : se dit des banques considérées comme trop grosses pour faire faillite sans causer de graves conséquences sur le marché bancaire mondial.
Banques zombies : Banque dont la situation financière est fortement dégradée par une insuffisance de liquidités ou des actifs en forte chute. Tenant souvent simplement par le soutien des Banques Centrales ou un environnement de taux faibles.
I – La réalité des faillites bancaires
Signature Bank, Signal Bank, Silicon Valley Bank et maintenant Crédit Suisse. Il peut se dégager de cette succession de faillite une impression d’effondrement bancaire par effet domino.
Pourtant, ces différentes faillites ont des origines différentes et ne partagent dans leur enchainement qu’une point commun : une perte de confiance, élément central du système bancaire depuis la fin de l’équivalence Or/Monnaie.
En premier lieu, il est nécessaire de rappeler que les difficultés bancaires sont monnaies courantes depuis la crise des dettes souveraines de 2012. En Italie en 2016, en Allemagne en 2019, en Angleterre en 2022 par exemple. Vous n’en n’avez probablement aucun souvenir car ces difficultés (toujours présentes) ont été jugulées.
Pour autant, si les difficultés semblaient bien plus rares de 2014 à 2022, c’est aussi parce que l’environnement des taux est resté stable et proche de 0% pendant toute cette période. La remontée brutale des taux engagée l’année dernière est une des principales causes des évènements récents.
Nous reviendrons sur les conséquences de cette montée des taux par la suite.
II – Origine des faillites récentes
Comme évoqué précédemment, les raisons de la faillite de la Silicon Valley Bank et de Crédit Suisse sont à la fois semblables et différentes.
La silicon Valley Bank (SVB)
La faillite de cette banque « régionale américaine » vient principalement de deux facteurs :
- Un positionnement majoritaire de banque des Start-up
- La remontée brutale des taux US (0,25% en Janv. 2022 à 4,75% en Fév. 2023)
Comme vous le savez probablement, une start-up a besoin d’énormément de liquidités pour développer son « concept ». Il peut se passer des années avant qu’une telle société ne fasse des bénéfices.
Ce modèle économique était tenable dans un contexte de taux bas induisant un coût faible de l’emprunt. De plus, les injections massives de liquidités depuis près de 10 ans poussaient les agents économiques à financer des sociétés hautement spéculatives.
Cependant, la remontée des taux de la FED a drastiquement augmenté le coût de l’argent ainsi que la rémunérations des obligations d’états « sans risque ». Cet état de fait à conduit à assécher les sources de financement des start-ups.
En l’absence de financements externes, ces sociétés se sont vues dans l’obligation de piocher dans leurs liquidités afin de couvrir leurs coûts de fonctionnement. Ce recours massif et simultané a provoqué un stress de liquidité au sein de la SVB qui n’avait pas prévue une telle dynamique de retrait des dépôts.
Pour assurer ces retraits, la SVB a été contrainte de céder un portefeuille obligataire à long terme présentant une moins-value latente de près de 2 milliards de dollars. Cette perte significative étant le point de départ de la panique des détenteurs de fonds auprès de la SVB.
La suite, vous la connaissez, les difficultés de la SVB sont à l’origine de la perte de confiance et d’un mouvement brutal de retraits des dépôts (Bank run). La confiance rompue et les portefeuilles obligataires à long terme de la SVB en moins-value importante finissant d’achever la banque.
Le Crédit Suisse
La faillite de la SVB aux Etats-Unis remet sur le devant de la scène la fragilité de certaines banques dans le monde. Cette perte de confiance rapide ayant mené à une faillite éclair de la SVB conduit les marchés (et vous aussi certainement) à s’interroger sur une potentielle contagion mondiale.
Il ne s’agit pourtant pas ici de contagion au sens financier mais simplement d’une soudaine remise en lumière de banques déjà fragiles et donc fortement exposées à la remontée des taux ainsi qu’à une perte de confiance des épargnants.
Le Crédit Suisse est avant tout un leader de la gestion de fortune. A ce titre, elle gérait environ 1 600 milliards de francs suisses en 2021.
Cependant, le Crédit Suisse enchaine les polémiques et scandales financiers depuis 2014 :
- Evasion fiscale de ressortissants américains (2014) – 2,6 milliards d’euros d’amende
- Evasion fiscale de ressortissants français (2016) – 238 millions d’euros d’amende
- Faillite de la société financière Greesill Capital (2021) – 3 milliards d’euros de perte
- Faillite du fonds d’investissement Archegos (2021) – 4,7 milliards de dollars de perte
Et je ne reprends pas l’intégralité des scandales liés à Crédit Suisse (Blanchiment, prêts illicites etc.)
Cette succession de dossiers liés à Crédit Suisse conduit logiquement à une perte de confiance de plus en plus profonde des épargnants et à des retraits d’encours toujours plus importants.
Ainsi, le Crédit Suisse ne gérait plus que 1300 milliards d’euros en Décembre 2022. Soit une perte de 300 milliards d’euros en l’espace d’une année. Par ailleurs, l’établissement ne parvient pas à retrouver la confiance des épargnants et à endiguer les retraits de fonds.
Cette situation a provoqué le départ du premier actionnaire américain (Harris Associates) au profit du de la Saudi National Bank début 2023. C’est d’ailleurs cet actionnaire qui a allumé la mèche ayant provoqué en définitive la faillite du Crédit Suisse en déclarant exclure tout apport supplémentaire de liquidités afin de garder à flot la banque.
Dans un climat de perte de confiance, cette déclaration fait l’effet d’une bombe et provoque la descente aux enfers du Crédit Suisse en l’espace de quelques jours. Les interventions de la Banque Centrale ne suffiront pas à redonner la confiance aux marchés financiers ainsi qu’aux épargnants.
Il est intéressant de noter que le Crédit Suisse était qualifié de « banque zombie » depuis plusieurs années par de nombreux analystes. Cette chute n’est donc pas une surprise pour les observateurs quotidiens.
III – Le couperet de la hausse des taux
Je vous l’ai dit précédemment, le système bancaire est régulièrement mis en difficulté au gré des changements économiques ou plus simplement des excès et erreurs des établissements bancaires eux-mêmes.
Pourtant, cette période paraît, à juste titre, beaucoup plus délicate pour la stabilité bancaire et la raison n’est pas à chercher très loin : la hausse brutale des taux de la FED ou encore de la BCE depuis début 2022.
Vos dépôts ne sont pas conservés en l’état. Ainsi, les établissements bancaires achètent des obligations à long terme comme des obligations du trésor américain à 10 ans. En cas de retraits massifs des dépôts, les établissements bancaires peuvent aisément céder ces portefeuilles de qualité afin d’assurer la liquidité nécessaire.
Ce schéma fonctionne très bien dans un environnement stable de taux mais montre de grandes faiblesses dans le climat actuel de hausse des taux. C’est d’ailleurs ce qui explique la perte de près de 2 milliards d’euros lors de la cession d’un portefeuille obligataire par la SVB il y a quelques semaines.
En effet, une obligation (un prêt) à 10 ans d’une valeur de 1 000 € et rapportant 1% peut être revendue au même prix dans un contexte de taux stables. Elle peut aussi être conservée jusqu’à son remboursement au prix de 1 000 € (+ intérêts éventuels).
Cependant, lorsque de nouvelles obligations sont émises avec une rémunération de 4%, les obligations précédentes moins bien rémunérées deviennent moins attractives. Par conséquent, ces obligations si elles sont vendues avant leur terme entrent en compétition avec les nouvelles obligations mieux rémunérées. Leur valeur de revente diminue alors proportionnellement à l’écart de rémunération.
Dans le cas de la SVB, cette situation n’aurait pas eu d’impact si la conjoncture ne l’avait pas obligée à céder de telles obligations en moins-value latente afin d’assurer la liquidité des retraits de fonds.
IV – Les suites de la chute du Crédit Suisse
SVB a fait faillite et les dépôts ont été garantis par plusieurs institutions américaines afin de restaurer une certaine confiance.
Crédit Suisse a été reprise par UBS ce matin avec des garanties de la Banque Nationale Suisse (BNS) et très certainement une assistance de la FED.
Donc c’est fini ? Et bien non.
D’une part, la confiance en la stabilité du système bancaire est encore très fragile et les marchés très volatils. Or, nous sommes un des facteurs les plus importants de faillite bancaire. De la même manière que nous pouvons créer une pénurie de carburant par simple dérèglement de la demande sur le court terme.
De plus, la qualification de « too big to fail » concerne principalement les banques systémiques que les autorités ne peuvent laisser faire complètement faillite. Cette protection théorique peut avoir l’effet pervers d’asphyxier les banques régionales par des retraits massifs visant à placer votre argent dans ces banques qui seront de toute façon sauvées.
Or la centralisation toujours plus importante de nos dépôts dans ces banques systémiques ne fait qu’aggraver la fragilité du système bancaire.
En Europe et en France, le risque le plus prégnant est lié à une faillite systémique extérieure, à une panique boursière ou à notre exposition au Dollar.
V – En conclusion
Le système bancaire est aujourd’hui déstabilisé par la hausse des taux et par la faillite de SVB en premier lieu bien que cette banque ne menace absolument pas le système dans son ensemble.
La faillite de Crédit Suisse est finalement l’achèvement de plusieurs années de mauvaise gestion et de scandales.
La crise n’est pas terminée et le pire est toujours possible.
Cependant, les Banques Centrales démontrent leur volonté de stabiliser la situation et la faillite d’un établissement systémique paraît aujourd’hui plus que jamais inenvisageable.
Je préfère donc voir l’opportunité dans la difficulté : les marchés pourraient corriger de manière significative et offrir de belles fenêtres d’investissements à condition d’avoir du temps devant soi.
J’appelle cependant les détenteurs de fonds obligataire à demeurer prudents. La reprise de Crédit Suisse devrait causer des pertes sèches sur ce marché et l’évolution des taux reste très incertaine.